Ecc 7.1-10
16e constat : Mieux vaut la fin que le début.
Encore un passage qui ont conduit à traiter l’Ecclésiaste d’incorrigible pessimiste. En particulier la suite du v.1« Mieux vaut le jour de la mort que celui de sa naissance » ou il devrait valoir plus, parce que l’on part avec la satisfaction de ce qui a été vécu. (notez que c’est déjà un brin plus positif que 4.3).
Pour l’Ecclésiaste, la mort est une pédagogie puissante, pour nous pousser à nous poser les questions essentielles et existentielles. Hélas, nous avons de la peine à nous poser les vraies questions lorsque tout va bien, l’Ecclésiaste semble à la fois le regretter et encourager à se réjouir de toutes occasions de joie (cf. 7.14).
J’aime cette précision qu’il faut aimer la fin d’une chose, plutôt que son début (7.8). Généralement, nous préférons les débuts, synonyme d’espoir, de capacité à changer les choses, de créativité… mais les débuts peuvent nous faire basculer de la patience à l’orgueil. Il est facile de décider, plus difficile de mettre les mains dans le cambouis. Dans la réalisation, notre projet devient moins « pur », moins « simple », moins « stimulant » ; on doit finalement se contenter de ce que l’on peut. L’Ecclésiaste nous recentre en rappelant la joie du projet accomplit, même s’il est imparfait.
« Au passage, puis-je regretter que dans notre civilisation, les enterrements deviennent furtifs ? La mort est traitée comme une incongruité. Mourir, c’est presque faire preuve de mauvaise éducation, en posant des questions qu’il ne faut plus poser à un monde qui a tout résolu ou pense tout résoudre… sauf la mort ! »
« Il y a, hélas, une pédagogie du chagrin et de l’épreuve ; car à ces heures-là, se dissipent les mensonges et les illusions avec lesquels les hommes s’étourdissent et se leurrent. »
« On remarquera que Qohélet ne dit pas « ne t’impatiente pas, ou ne te mets jamais en colère », mais « Prends le temps pour t’impatienter ». « Prends le temps de respirer » (sens littéral du v.8c).
A.Maillot
Ecc 7.10-8.9
A.Maillot, propose une liste de 12 limites à la sagesse. Le mot « limite » a un double sens, ce sont des points qui nous empêche de réfléchir sainement et ce sont des invitations à rester humble, notre sagesse peut beaucoup, mais elle ne peut pas tout.
Je vous propose ici une liste « brute », avant de reprendre certains points en commentaire, en peu en désordre, les prochains jours.
- La nostalgie du prétendu bon vieux temps.
- Trop ou trop peu d’argent.
- La sagesse ne change pas le monde, seul Dieu le peut.
- Le sage ignore le futur, seul Dieu le peut.
- La sagesse est toujours relative, car il n’y a pas de justice sous le soleil.
- Tous sont pécheurs, y compris le sage.
- Il y a beaucoup de bavard, il faut parfois savoir être sourd.
- La vraie sagesse est trop profonde pour l’homme.
- Les femmes rendent parfois les sages stupides.
- Le flonflon de cours obligent à jouer un rôle et à se comporter à l’inverse de la sagesse.
- Tout n’est qu’opportunité. On est toujours plus sage après coup.
- L’heure de notre mort nous est inconnu et cela nous rend humble.
Ecc 7.10
« Garde-toi de dire : comment se fait-il qu’autrefois, les choses allaient mieux qu’aujourd’hui ? Car ce n’est pas la sagesse qui te dicte une telle question. »
L’Ecclésiaste nous a prévenu dès le début.
- Ecc 1.4-11, 1e constat : rien ne sera jamais vraiment neuf.
- Deux fois déjà, il nous a parlé de l’illusion qu’un nouveau roi changera radicalement les choses… nous finissons toujours par nous plaindre de lui.
- Ecc 3, 9e Constat : Dieu fait toute chose bonne en son temps… même si cela nous reste mystérieux.
Il y a de belles choses à trouver aujourd’hui. Savons-nous nous en réjouir ou courrons-nous après le vent d’hier ou de demain ?
« La fuite dans le passé n’est pas meilleure que la fuite des visionnaires de l’avenir. Rousseau n’est pas meilleur philosophe que Marx » A.Maillot.
L’Ecclésiaste aimer donner des leçons d’humilité aux sages de son temps (dont il fait partie) … et ceux-ci sont souvent âgés. D’où sans doute ce discours passéiste. Mais ne nous leurrons pas, nous avons tous la tendance à voir l’herbe plus verte dans le champ d’à côté. Et nous avons tous, à notre façon, cette petite voix qui nous susurre que si nous étions aux commandes, les choses iraient bien mieux.
Ecc 7.11-12 & 7.19
La sagesse donne une protection dans la vie, sécurité fragile certes, mais c’est déjà cela.
L’Ecclésiaste nous a déjà averti que l’argent, comme la sagesse, ne fait pas le bonheur. Il ajoute ici que l’argent, comme la sagesse, offre une certaine protection. « Elle préserve la vie », dit-il. Il n’a rien contre ni l’argent, ni la sagesse, il les remet simplement chacun à sa place. Pour conclure que la sagesse donne une véritable force… sans préciser une force pour quoi ou contre quoi. Si je cherche une sagesse absolue, je serais fortement déçu. Mais si je cherche une sagesse de base, j’en recevrai les bénéfices.
« la vrais sagesse a l’esprit lent et à ras de terre […] méfions-nous de tous ces esprits forts qui comprennent tout immédiatement et mettent tout en formules aussi belles qu’irréelles. Le vie n’a rien à voir avec les mathématiques. » A.Maillot.
Ecc 7.13-14
« Considère l’œuvre de Dieu… ».
Ce n’est pas une affirmation nouvelle chez l’Ecclésiaste, et… dans le reste de la Bible. Si les Psaumes nous encourage à méditer la grâce de Dieu (son action en notre faveur), l’Ecclésiaste encourage surtout à comparer l’action de Dieu et celle de l’homme. Les psaumes nous appellent à louer Dieu avec confiance, l’Ecclésiaste nous enseigne l’humilité.
Ce qui est tordu ne peux être redressé (1.15), sauf que Dieu fait revenir ce qui était perdu (3.15). Lorsque Dieu agit, qui pourrait le modifier ?
L’homme ne connaît pas l’avenir (cf. Ecc 3.14) et il ajoute ici que Dieu fait en sorte que ce soit ainsi (sans doute une attaque contre l’astrologie, très en vogue à l’époque). Dieu a un projet derrière cette vie qui semble imprévisible. Ici, il ne précise pas quelle est cette intention de Dieu. Nous savons que Dieu fait toute chose belle, en son temps (3.14), mais cela nous reste mystérieux. C’est donc un appel à l’humilité doublé d’un appel à la confiance.
Notre appel est de jouir du bonheur, lorsqu’il est là, et de réfléchir sinon. On voit une nouvelle fois que l’Ecclésiaste ne souhaite pas faire de nous des raisonneurs (même s’il nous bouscule avec ses questions en forme de constats), il veut nous apprendre à être heureux (même si son approche est déconcertante).
Ecc 7.15-20
Évite la sottise et la méchanceté. Cultive la sagesse et la justice.
On nous a répété cela depuis que l’on sait marcher. L’Ecclésiaste ajoute une promesse : Dieu nous permettra de mettre en pratique sagesse et justice. Et il est plus prompt à déclarer une chose « dérisoire », qu’à faire des promesses. Cela vaut la peine de cultiver le bien, il servira un jour ou l’autre, c’est certain.
Il ajoute une affirmation un peu déroutante : « Ne sois pas juste à l’excès, pourquoi te détruirais-tu ? » (v.16). J’ai rencontré tant de gens meurtris par le perfectionnisme (le leur et celui des autres). Il me semble que la négligence ne fait pas autant de dégât.
« On peut voir ici qu’il a perçu le danger du légalisme… parallèlement il dénonce le danger de l’immoralisme. Répétons bien que ce n’est pas l’éloge de la médiocrité, mais celui de l’humilité et de l’humour : l’homme n’est pas assez fort pour être hyper-juste ou ultra-mauvais. » A.Maillot.
« Un ministère sans échec est une utopie. Les déceptions à l’égard de notre idéal ne doivent pourtant pas rabaisser celui-ci, mais seulement notre orgueil. » Pr. Pascal Ide
Sans doute faut-il mettre en lien cette affirmation, avec l’affirmation que tout homme est pêcheur (v.20) ; sous le soleil, il n’est pas possible de mettre en place parfaitement la justice. La soif de justice conduit à la déception, la violence ou… l’attente du Christ.
Ecc 7.21-22
Ne fait pas trop attention à ce que les autres disent de toi.
La sagesse n’implique pas de tout savoir, parfois il est sage de faire la sourde oreille. Il existe une sage ignorance.
On retrouve le fameux « Ne condamnez pas les autres… on vous appliquera la mesure dont vous vous serez servis pour mesurer les autres » Mt 7.1-2 . Je sais que ma langue (et mes pensées) fourche trop souvent, il vaut mieux laisser le bénéfice du doute aux autres.
Ecc 7.23-25 & 7.29-8.1
Étonnant Ecclésiaste, il a tant dit sur les limites et les déceptions de la sagesse, maintenant il lui offre un beau compliment : la sagesse illumine le visage. Même si c’est aussi une petite pique contre « certains » qui se prétendent sages et qui sont en réalité sévères et préoccupés (8.1).
On retrouve une double vérité et un encouragement :
- Notre sagesse sera toujours limitée « la sagesse est restée loin de moi… elle est trop profonde pour qu’on puisse l’atteindre ».
- Le fondement de ce qu’il faut savoir c’est : « la méchanceté est insensée / la folie est déraisonnable ». N’oublions jamais que ce qui compte le plus, c’est la mise en pratique du bien… et non pas les grandes envolées philosophiques.
- Et puis un encouragement, à son exemple, nous sommes appelés à creuser, de toutes nos forces les profondeurs de la sagesse (apprendre, explorer, rechercher, discerner). Avec humilité et avec énergie.
Ecc 7.26-28
Dieu a fait l’homme et la femme droits… mais ils ont tout compliqué.
L’Ecclésiaste poursuit la déconstruction de nos idéaux. Il a beaucoup parlé des hommes (en général) et il semble craindre que des hommes (masculins) comprennent que cela ne s’applique pas aux femmes. Il va donc enfoncer le clou :
- Le coup de foudre n’est pas toujours fruit de la sagesse. Nous aimons l’élan, le frisson, le rose et les paillettes. Mais une femme (comme un homme) peut aussi être un piège, source d’amertume. Notre appel est toujours de « bien nous comporter aux yeux de Dieu », cela nous préservera parfois des mauvais choix et surtout évitera de rendre notre conjoint amer, par nos attentes irréalistes.
- La quête de la femme idéale et parfaite n’a pas vraiment de sens… tout comme la quête de l’homme idéal. Nous sommes contraints de faire avec la double réalité d’une belle création de Dieu, que l’homme a remplie de combines.
Un passage à lire en parallèle de deux autres affirmations de l’Ecclésiaste.
« Mieux vaut être à deux que tout seul » (4.9)
« Jouis de la vie avec la femme que tu aimes » (9.9).
L’Ecclésiaste semble penser que la vie de couple se construit sur des « petits biens » du quotidien, plutôt que de grands idées et de grands rêves. Et il se reconnaît bien faible devant les « charmes » féminins, une manière de dire, à nouveau, que notre pensée est toujours mélangée à nos émotions.
Il ajoute (en reprenant sans doute l’exemple de Salomon) que celui qui cherche « des » femmes n’en trouvera vraiment aucune.
Le verset 7.28 démontre que Darcy connaît mieux sa Bible qu’Elisabeth Bennett.
En hébreux, les versets 7.27-29 sont attribuées à une maîtresse. L’Ecclésiaste, laisserait-il ici la parole à son épouse ? D’autres y voient une faute de copistes et remettent le masculin.
Ce passage doit être mis en parallèle avec 7.20, à l’époque de l’Ecclésiaste, certains pensent que la raison n’est pas entachée par le péché. Par contre ils n’ont pas de problème à considérer les femmes comme inférieures, versatiles, voir stupides. Aujourd’hui, les jeunes hommes ont d’autres pensées… d’où mon interprétation.